Face du deuil

La douleur de «l’arrachement»

Toute relation conduit à un attachement qui prend la forme d’une « peau commune ».

Qu’il s’agisse d’un projet, d’une promesse, d’un rêve, d’un statut ou d’une personne, cette fusion partielle ou totale tend à confondre les frontières identitaires territoriales entre la personne et son « objet d’amour ».

Une des conséquences directes de cette conjonction est d’attribuer à l’objet d’amour la charge de nos points d’appuis identitaires. La maxime « je ne suis rien sans l’autre » illustre parfaitement cette tendance.

Aussi la disparition progressive ou brutale de l’objet d’amour fait aussi bien figure d’un arrachement que d’une menace pour sa propre intégrité physique. Tel un nourrisson à qui on retire le sein maternel, le corps craint pour sa survie.

L’impact sur notre organisme

Qu’elle soit symbolique ou concrète, la « mort » impacte notre organisme à trois niveaux de réalités distinctes :

  • Elle nous confronte de manière abrupte à notre propre finitude et dissout l’illusion de la Toute-Puissance. Elle met en tension l’intégrité de notre organisme qui ne parvient ni à penser le néant ni à s’y résoudre.
  • Avec elle s’effondrent les rêves, les projets et la réalité portés par cet objet d’amour auquel nous étions liés. Ce n’est pas seulement l’objet d’amour qui disparaît mais une partie de notre mémoire identitaire qui se désagrège avec lui.
  • Enfin, toute relation avec un événement ou une personne est régie par la satisfaction de besoins primaires – sentiment de sécurité, de légitimité, de valorisation narcissique ou de dépendance infantile – dont la perte crée un vide qui n’est plus comblée.

Les dynamiques du deuil

  • Le déni

Le déni, c’est refuser de voir le réel. Fermer les yeux, détourner le regard, tourner le dos sont la première ligne de défense du moi qui protège ainsi par ce réflexe de fuite son intégrité psychique contre le transpercement de l’angoisse.

Ce rempart permet de diluer la charge phénoménale de l’affect qui menace de submerger la personne et lui laisse le temps de négocier le réel jugée insoutenable en première intention.

  • La colère

La colère procède d’une seconde ligne de défense. Elle est nourrie par la frustration à son besoin de permanence et de sécurité pérenne. Elle s’oppose ainsi à l’inacceptable en accusant la nature « injuste » du réel, qu’elle soit propre à l’objet d’amour lui-même ou du fait d’un événement extérieur.

Cette frustration qui se décharge en agressivité repose en grande partie sur le sentiment d’impuissance que nous éprouvons face au réel inéluctable.

La colère est portée par une volonté farouche de réparation qui dynamise le sujet et contribue à travers ce « besoin de vengeance » à reconquérir une « puissance » dont le réel nous a dépossédé.

Si cette colère est salvatrice dans un premier temps puisqu’elle ordonne au sujet de se relever pour exiger réparation, elle devient préjudiciable à long terme puisqu’elle soumet le sujet à une vendetta qui le détourne d’un ici et maintenant ouvert au futur et la promesse du renouveau.

  • Le marchandage

Le marchandage procède d’un besoin similaire de reconquête d’un « pouvoir perdu ». Ici c’est la puissance démiurgique qui est sollicitée afin de renégocier le réel : Et si j’avais dit, si j’avais fait…

La puissance de l’imaginaire tente de masquer la réalité du déni au profit d’une fiction parallèle où le réel est sans cesse recréer. Mais cette réalité fantasmée est chaque jour transpercée et mise en échec par l’évidence abrupte du réel partagé : l’événement a eu lieu. Ce marchandage nourrit malgré lui une culpabilité qui bloque nos capacités de résilience.

  • Le défi de loyauté et le veuvage

Le défi de loyauté & le veuvage placent le sujet dans une posture qui lui refuse de « refaire sa vie ». Le sujet reste fidèle à ses idéaux, à ses rêves, à l’objet d’amour passé et s’interdit de s’ouvrir à l’inédit, de se tourner vers un futur qui demande à être inventé, sous le prétexte du principe de loyauté et le veuvage qui lui est consécutif. Le sujet abdique son propre espace de créativité et les attributs de sa propre nature pour vivre dans l’ombre de ce qui a été.

  • Le chagrin

Le chagrin est un marqueur somatique qui nous permet de nous ajuster à la perte. Il consigne le mouvement naturel d’une émotion selon sa nature propre et permet de purifier la mémoire corporelle de ses « peaux mortes ».

La dépression est d’une autre nature, elle distingue une sidération traumatique qui ne permet plus au sujet d’être pleinement présent à lui-même dans le ici et maintenant de son être-là parce qu’il est sans cesse débordé par un passé qui surgit de manière inadaptée dans son propre présent.

  • La résilience

La résilience est une force propre à chacun qui permet d’intégrer les dynamiques psychiques qui se présentent à nous en réponse à un événement qu’elle qu’en soit la nature et le dénouement.

A travers les différents chemins qu’emprunte notre guidance sensitive (recentrage méditatif, conscience du corps, ancrage…) nous accompagnons cette force de résilience à tous les niveaux du complexe émotionnel dans lequel se trouve la personne.

Accepter son déni nous en libère. Accepter sa colère nous autorise le pardon. Accepter le réel nous permet de vivre pleinement sa tristesse. Vivre son chagrin nous conduit à nous défausser d’un veuvage qui n’a peut-être plus lieu d’être et nous autorise une renaissance qui n’est pas un affront à la mémoire de l’objet d’amour perdu.

Ultime dynamique du deuil, la renaissance nous invite à faire peau neuve, notre expérience du réel enrichi de la valeur des « choses ».

La renaissance nous parle du chemin qui s’ouvre devant nous, non pas vide de notre passé, mais le cœur comblé de celui et celle que nous sommes devenus aujourd’hui.